La prise du pouls en médecine chinoise comme référentiel de conformité aux saisons
- Simon Richard
- 30 avr.
- 4 min de lecture
La prise du pouls en acupuncture tient une place importante lors de l’examen global, elle figure parmi les diverses méthodes de palpation que nous utilisons chaque jour en cabinet. Savoir interpréter ses fluctuations permet d’avoir un rendu assez fiable de l’état de la circulation du sang dans l’organisme, ce qui n’est pas négligeable quand on sait que l’acupuncture est une méthode qui vise justement à réguler la circulation de ces flux par le biais des différents plans tissulaires qui constituent la matrice ou l’environnement au sein duquel s’épanouit cette circulation. Lorsque l’on prend le pouls avant une séance d’acupuncture, on tient généralement compte de trois paramètres : le rythme : est-ce que le pouls marque des arrêts à intervalles irréguliers ou non ; la fréquence : est-ce que le pouls est plutôt rapide ou lent ; et enfin la forme ou la qualité de l'artère. Par forme ou qualité, il faut entendre la sensation qu'un type de pouls laisse apparaître à la palpation. Est-ce que l’artère est plutôt perceptible en profondeur ou plutôt en surface, est-ce qu’elle est large ou fine, est-ce qu’elle bat tranquillement de manière relâchée ou est-ce qu’elle tape sous les doigts exprimant plutôt une forme de tension ou de force.
Ce que l’on cherche à déterminer à l'issue de cet examen, c’est la conformité de ces trois composantes du pouls avec la saison en cours. Les personnes qui viennent me voir en consultation à Bordeaux sont, la plupart du temps, assez surprises quand je leur dis qu’en médecine chinoise, on considère que le pouls est bon, des lors qu'il est conforme à sa saison. Mais c’est pourtant assez pragmatique et plutôt simple à comprendre à condition de se remettre à considérer l’idée traditionnelle selon laquelle l’homme est partie intégrante de la nature et qu’il doit composer avec elle une unité : “l’homme et la nature ne font qu’un” 天人合一. En effet, si nous arrivons très bien à admettre le lien qui unit la faune et la flore aux variations saisonnières, ce même lien qui doit tout naturellement nous lier de façon analogue à ces rythmes en tant qu’êtres humains n'est pas forcément évident pour nos mentalités modernes.
Au printemps, les organismes vivants reprennent leurs activités, les insectes refont surface, les végétaux bourgeonnent et l’on peut dire que dans l’ensemble, la nature manifeste ce qui s’apparente à un mouvement de déploiement et d’émergence. À l'échelle vasculaire, la sortie soudaine de cette période de froid se caractérisant par un radoucissement de la température se manifeste au niveau du pouls radial par une légère accélération de sa fréquence, accompagnée d’une vasodilatation de l’artère qui s'exprimera sous la forme spécifique d’une tension sous les doigts, que les Chinois ont désignée sous le nom de pouls en corde 弦 (xián). Il est le pouls du printemps, qui témoigne de cette phase de déploiement et d’émergence à l’échelle de la circulation sanguine.
L’été est la période de l’année où cette chaleur arrive à son acmé. La nature exprime dans un même temps la plénitude de son déploiement. Tous les organismes vivants s’activent, les journées sont plus longues que les nuits, l’activité yáng 阳 prend le pas sur les phases de repos yīn 阴. Au niveau de l’artère radiale, on observera chez la personne équilibrée “píngrén 平人” un pouls superficiel qui arrive avec force et qui repart comme une vague : c’est le pouls crochu “鉤 (gōu)” en médecine chinoise.
L’automne, avec le rafraîchissement des températures et le ralentissement de l’activité des organismes vivants, amorce le mouvement de recueillement et de contention 收敛 (shōuliǎn). Les feuilles des arbres tombent peu à peu et s'amassent au sol. Un proverbe chinois dit : « Les feuilles tombent et retournent aux racines » (yèluò guīgēn 叶落归根). Ceci rend fort bien compte de ce mouvement de retour à la source que l’on observe durant cette saison. Lors de cette période, le pouls est flottant 浮 (fú) et léger comme une plume, perceptible à une pression légère de l’artère. Il est moins fort qu’en été et exprime les prémices de ce retour au calme mis en œuvre par la dynamique automnale.
En hiver, c’est le froid qui s’installe et avec lui la dormance du vivant. Les nuits yīn 阴 sont plus longues que les journées yáng 阳. De nombreux animaux hibernent ou réduisent leur activité. La période est à la conservation, à la thésaurisation et au repos nécessaire. La sève des arbres a, depuis le printemps, quitté ses parties aériennes pour se concentrer vers le tronc et les racines. Au niveau du pouls, il sera donc normal d’observer chez la personne équilibrée “píngrén 平人” un pouls plus profond, plus lent et “dur” dû à la vasoconstriction, appelé pierreux 石 (shí). La qualité de cette phase de repos qui clôture le cycle annuel conditionnera l’année suivante, si bien qu’un hiver froid sera toujours plus enviable qu’un hiver doux dans la mesure où un froid important favorisera d’autant plus ses aspects de conservation, de repos et de régénération.
Ces quatre saisons sont comprises en médecine chinoise comme étant l’expression à l'échelle temporelle du symbolisme yīn 阴 yáng 阳 échelonné en quatre phases : un mouvement respiratoire d’expansion yáng 阳 (le printemps et l’été), auquel succède un mouvement de contraction yīn 阴 (correspondant à l’automne puis à l’hiver). Ce qui importe du point de vue de cette approche, c’est que nos biorythmes individuels se conforment et suivent une direction analogue (shùn 順) à ces rythmes naturels extérieurs. Le corps qui ne se conformera pas à ces rythmes perdra, à force, sa cohérence respiratoire yīn 阴 yáng 阳. Il manifestera alors un état d'opposition (nì 逆) aux rythmes naturels, ce qui revient à parler d’un état pathologique.
Ce sujet de la résonance entre l’environnement extérieur et notre environnement intérieur est crucial, car en établissant la notion de “globalité” de manière concrète, il permet d’entrer dans une compréhension plus profonde de la médecine chinoise.



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