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Du symbolisme de la grande ourse et de son implication en médecine chinoise

  • Photo du rédacteur: Simon Richard
    Simon Richard
  • 4 déc. 2024
  • 17 min de lecture


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1-Brève présentation de la grande ourse


La grande casserole, astérisme  bien connu de la  grande ourse ou “Běi Dǒu” 北斗 (boisseau du nord)  en chinois, est la troisième plus grande constellation de notre ciel. Les étoiles qui la composent ont la particularité de former ce qu’on appelle en astronomie un amas ouvert, un groupement d’astres  liés ensemble par la gravité. Elle est un astérisme circumpolaire, qui ne disparaît jamais sous l’horizon, ce qui la rend visible toute l’année et à toute saison contrairement aux constellations dites saisonnières. Du point de vue de l’homme, la grande ourse se déplace autour de l’étoile polaire selon un mouvement circulaire, faisant ainsi sa révolution en 24h. 



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Elle est composée de 8 étoiles qui sont Alkaid, Alcor, Mizar, Alioth, Megrez, Phecda, Dubhe, et Merak. Nous reviendrons à l’occasion sur certains de leurs noms chinois dont la signification nous révèlera quelques informations dignes d’intérêt. On compte traditionnellement 7 étoiles à la grande ourse, fait particulièrement intéressant si l’on sait que le 7,  somme du 4  (formant le carré) et du 3 (formant le cercle), symbolisent sous ce rapport particulier, l’accomplissement par l’union de  l’espace et du temps. Sa huitième étoile, Alcor, est peu visible à l’œil nue, ce qui en aurait même fait un test préalable à la sélection des archers de Gengis Khan, et peut expliquer au passage pourquoi elle n’est traditionnellement pas explicitement comptée parmi les étoiles figurant dans l’astérisme. 


On retrouve la grande Ourse dans de nombreuses traditions : amérindienne, grecque, romaine, hindoue, chinoise et même chrétienne  (elle est évoquée dans le mythe de Job, l’apocalypse de Jean, et Dante lui dédiera également quelques vers dans sa divine comédie). Le propos ici ne sera pas de les développer individuellement, cet étude portant en effet spécifiquement sur la place qu’occupe la grande ourse en médecine chinoise, mais l’indiquer permet néanmoins de souligner son caractère universel.


Dans cet article nous nous intéresserons à un fragment de l’astronomie traditionnelle chinoise que l’on pourrait appeler plus justement astrologie, ce second terme comprenant plus ou moins les aspects du premier tout en y adjoignant la valeur symbolique et la signification qualitative des mouvements du ciel.


Car si l’astronomie moderne oriente spécifiquement sa recherche sur la composition des astres ainsi que sur l’étude des lois qui régissent leurs mouvements, l’astrologie traditionnelle quant à elle, accorde une importance majeure à la connaissance des diverses influences que peuvent traduire le mouvement de ces astres et par conséquent, ce qu’ils nous disent de nous même et de notre environnement. 


En effet, pour les chinois de l’antiquité, l’observation du ciel ne se limitait pas à un émerveillement naïf, mais  elle faisait au contraire l’objet d’une science aussi rigoureuse que subtile. Le ciel y était envisagé comme un vaste écran, chargé de symboles et de sens, intimement lié à la destinée humaine, où les changements de la terre étaient perçus comme un reflet des mouvements du ciel et où tout s’y trouvait qualifié et ordonné. Le terme “Tiānwèn ” 天文 en chinois que l’on traduit aujourd’hui par astronomie et qui veut littéralement dire écriture ou signe du ciel, témoigne de cette appréhension symbolique de l’astronomie envisagée essentiellement en tant qu’appareil signifiant. L’empereur de chine est le fils du ciel “Tiānzǐ”  天子, il est le médiateur en qui s’opère la communication axiale du ciel et de la terre et dont le rôle est d’intégrer au moins rituellement les influences célestes pour les y conjoindre aux influences terrestres. On peut dire à ce titre, qu’il y a résonance entre l’étoile polaire et sa personne dont il a la charge de remplir la fonction sur le plan terrestre. 


2-Symbolisme traditionnel de la grande ourse, de la swastika, et du pôle.


Ce qui doit attirer ici notre attention lorsque nous observons la grande ourse, c’est avant tout son symbolisme. Et par symbolisme il ne faut pas y voir une simple image ou une allégorie, car le symbole est bien plus que cela. En effet, selon la perspective traditionnelle, le symbole est une manifestation sensible, rendue visible et accessible à nos sens, d’une réalité divine. Il est une révélation d’une modalité du sacré, l’expression de sa présence. En cela, il n’est pas le fait d’une construction mentale, mais il possède une existence propre et indépendante de l’homme. 


Le symbole est de nature synthétique. Il constitue ainsi, pour celui qui le contemple un support en lequel sont réunis de façon cohérente et harmonieuse les divers éléments de connaissances auxquels il se rapporte, et ce, en vertu de la loi des correspondances analogiques ou de résonance “Gǎnying” 感應. 


C’est de cet esprit de synthèse qu’est animée la médecine chinoise en tant que science traditionnelle, car ce mode de pensée a un caractère unifiant à l’image du ”Dào” 道 , principe unique auquel elle se rattache, origine de toute chose et en lequel tout se résorbe.


“L’entendement humain ne peut pénétrer les changements des dix mille êtres s’il ne saisit la tendance de toute chose à retourner [à l’origine].” Huai Nan Zi


A ce titre, la langue chinoise se distingue nettement des langues occidentales par son style idéographique dont chaque caractère intègre bien souvent plusieurs significations, ce qui en fait un mode d’écriture essentiellement symbolique. Par extension, la nature elle-même peut être envisagée comme telle, exprimant les réalités du sacré selon le mode d’expression qui lui est propre. 


Il est important de préciser au passage, que la vénération de la nature dans le taoïsme, n’est pas une adoration de la nature pour elle-même, mais bien pour ce qu’elle véhicule les vérités divines intemporelles à celui qui sait lire le livre de ces symboles. 


Comprendre cela devrait suffir normalement à lever définitivement les étiquettes de “philosophie naturaliste” qu’on a tenté de lui apposer. La nature dans le taoïsme n’étant nullement envisagée comme l’origine de la sagesse,mais comme un support de son expression sensible parmi d’autres, ou un reflet  “Dàoyǐng” 倒影. 


Cette expression bien connue de la tradition taoiste, est très révélatrice du caractère subordonné de la nature à l’égard du principe dont elle est issue, laissant entrevoir par là que l’essence profonde des choses se trouve réellement au-delà de leurs apparences sensibles.


Voilà la juste place qu’occupe normalement la contemplation de la nature dans l’horizon traditionnel. Perspective qui n’est pas l’exclusivité de la vision chinoise mais que l’on retrouve dans de nombreuses traditions. 


Pour citer un exemple, c’est ainsi que la grande ourse se trouve être dans l’hindouisme, la demeure des sept rishis, les 7 sages “voyants” qui ont entendu la sagesse émanée de Brahman,  ils sont en vertu de cela, les dépositaires de la connaissance sacrée. Ils ont entendu la révélation qu’ils reflètent et transmettent par la lumière que symbolisent les 7 étoiles de “Beidou”, qui figurent comme un dépôt où se trouve encodée la sagesse traditionnelle transmise d’âge en âge.


A présent, un élément crucial et particulièrement important doit avant tout être mis en avant lorsque nous abordons le symbolisme de la grande ourse : C’est qu’en faisant sa révolution autour de l’étoile polaire, le manche de celle-ci pointe les 4 directions cardinales, reproduisant ainsi le symbole de la svastika. 



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Représentation universelle s’il en est, la svastika figure une croix dont le mouvement de rotation met en évidence le caractère immuable du point autour duquel elle se déploie, elle symbolise essentiellement par là, le principe transcendant, origine de toute chose, qui meut toute la manifestation, sans être lui même impliqué dans ce mouvement. Cela doit nous rappeler  le modèle du non agir taoiste qui participe de ce symbolisme à l’échelle de la personne humaine. Selon cette doctrine, le sage est celui qui, s’étant libéré du cycle de la roue des changements, se tient dans le non agir, au centre dans le séjour des immortels, qui est un éternel présent, et qui n’a rien de commun avec l’immortalité littéraliste de l’homme augmenté fantasmé par le transhumanisme. 


Cela implique que le changement et le mouvement sont donc ce qui caractérise notre manifestation, soumise aux vicissitudes de l’espace et du temps, tandis que le principe dont elle procède est quant à lui, d’une stabilité absolue, surpassant par là tout mouvement, toute configuration, toute dualité. 


“Le principe est toujours non agissant, et pourtant tout est fait par lui” Tao Te Jing


On retrouve logiquement la svastika en Chine et  le caractère qui la désigne “wàn” 卍, est aussi employé pour représenter le nombre 10 000 désignant “la myriade d’êtres”. L’étoile polaire, axe cosmique de la svastika, est appelée en chinois “Tiān Jī” 天机 le faîte du ciel, demeure de la grande unité “Tài Yī” 太一. Cela n’est pas sans rappeler encore une fois, l’importance qu’accordent les chinois à la primauté d’un principe unique dans leur tradition. 

Ce passage du Shiji en témoigne : 


“Dans le palais central, l’étoile Tian-ji [Faîte du ciel] est la plus brillante; elle est la résidence constante de taiyi [l’unité suprême].” Shiji, le livre des officiers célestes. 


Le fait que le texte distingue “Tài Yī” 太一 de ce qu’il appelle sa “résidence” rend bien compte également de ce que les auteurs ne confondent pas le signifié avec le signifiant. Cela confirme par là l’idée qu’ils ne vouaient pas un culte à l’étoile polaire en tant que telle,  mais à ce qu’elle reflète en sa qualité d’objet symbolique par la position unique qu’elle occupe dans le ciel. 


“Tiān Jī” 天机, Le pôle, est au centre, ce qui fait de lui l’élément sur lequel repose l’équilibre du monde, tout comme l’empereur à l’échelle terrestre. C’est pour cette raison que la grande ourse qui se meut autour de ce dernier, sera parfois nommée “balance de jade”, puisqu’elle symbolisait avec la petite Ourse, les deux plateaux s’équilibrant autour de l’étoile polaire, la jade signifiant quant à elle le haut niveau de perfection avec l’infaillibilité que cela implique. 

Le pôle est la résidence du tao, il est comme le moyeu au centre de la roue, qui est l’axe rendant possible sa rotation. Il est symboliquement ce qui ne varie jamais. Éternellement fixe, non sujet aux altérations de l’espace et du temps, il est le lieu en lequel se résolvent les contraires, où les complémentarités s’unissent dans un tout indifférencié pour ne laisser place qu’à l’unité principielle.


Sur le compte de ce que l’on a si souvent vu  nommé  de façon impropre “la philosophie de l’extrême orient”,  les apparences sont parfois trompeuses; et ce point fondamental atteste en particulier que la médecine chinoise, parce qu’elle est une science traditionnelle, ou autrement dit une application adaptée à l’ordre sensible de principes métaphysiques, n’est pas un dualisme. 


Car bien qu’elle reconnaisse en effet une forme de dualité, celle-ci, selon la cosmologie taoiste, doit être comprise comme étant relative aux conditions uniques de notre monde manifesté, la rendant  en cela, nullement irréductible. En effet, comme nous l’avions indiqué précédemment, le Yin-Yang procède d’une polarisation de l’unité métaphysique qui par définition  est “au delà de la nature”, cela implique que leur distinction n’ait au fond qu’une existence toute relative, puisqu’en finalité, tout doit retourner en “Dào” 道 . Les grands maîtres de la médecine chinoises le savaient parfaitement, à l’instar de Zhang Jing-yue  qui nomma le premier chapitre de son ouvrage le Jingyue quanshu : 明理  “Clarifier le principe unique”, puisque c’est à la source et par la contemplation du principe unique que la médecine chinoise tire toute la complexité de ses applications. C’est  par cette voie que l’on atteint l’esprit de synthèse et que le médecin peut prétendre à trouver l’origine du déséquilibre avec un regard analogue à celui qui scrute l’origine de toute chose.


« Celui qu’on appelle l’Homme véritable en sa nature est uni au Tao. […] Il demeure dans l’Unité et ne connaît pas la dualité, gouverne son être intérieur et ignore l’extérieur » Huainanzi


Originellement, c’est toute la médecine chinoise qui est censée s’articuler autour de ce principe dont les textes classiques ont la charge d’en révéler les applications. 


Par exemple, L’acupuncture tung, sous ses airs très cliniques, semblant presque empirique, est une application conforme aux principes énoncés dans le Nèi Jīng, étant essentiellement un vaste développement de la théorie holographique présentée dans celui-ci. Le Shānghán Lùn également, qui se présente sous la forme d’une compilation de cas cliniques parfois succincts mais surtout synthétiques, est une application d’une grande virtuosité des principes énoncés dans les textes classiques “Jīng” 经.


Transposées sur le plan physiologique, ces diverses informations nous éclairent quant à la position cruciale qu’occupe le centre en médecine chinoise. Et quel meilleur référentiel que le centre, puisque c’est de lui que l’on “embrasse d’un regard la totalité” pour reprendre la citation d’Angelus Silesius. Car si l’équilibre du monde repose en effet sur le pôle, la loi des correspondances analogiques implique par là que l’équilibre du corps physique repose quant à lui sur la terre, le mouvement central des “Wǔ Xíng” 五行 associé au duo Rate/Estomac. 


Celui- ci contenant en son sein, à la fois les mouvements de montée, de descente, d’entrée et de sortie, il résonne avec les attributs du féminin “Yīn” 阴, source substantielle de laquelle sont produites toutes les transformations, qui engendre toutes les oppositions. Il en retourne que le centre selon la médecine chinoise est le lieu où l’équilibre entre l’humide et le sec doit être maintenu, ou l’harmonie du chaud et du froid doit être préservé, une attention toute particulière doit ainsi lui être accordé, afin d’éviter qu’un déséquilibre ne se répande dans tout l’organisme.  


“L’humidité est le Qi central de l’eau et du feu […] La sécheresse est le Qi au centre du froid et du chaud”. Si Sheng Xin Yuan


3-Glissement vers la théorie des 5 mouvements


Après avoir survolé son symbolisme, la grande ourse doit maintenant nous dévoiler son application concrète et la place majeure qu’elle occupe pour la médecine chinoise. Pour ce faire nous nous appuierons pour commencer sur le Fǔ Xíng Jué 輔行訣. Ouvrage attribué au moine taoiste et médecin de la dynastie Liang : Tao Hong-jing. 


Il vise principalement à donner une application cohérente  au domaine médical de la théorie des cinq mouvements en s’appuyant notamment sur l’interaction entre les cinq saveurs et leurs associations, se faisant, il est également un outil précieux pour la compréhension des formules du Shānghán Lùn et permet ainsi d’accéder à une vision de synthèse incluant les 6 qì et les cinq mouvements. 


Son titre, “Fǔ Xíng Jué” peut être interprété comme une référence directe à la grande ourse. Il se traduit, selon Abel Glaser, par ” Procédés subtils des mouvements de l’étoile Alcor” ou encore “ formules pour aider lors du cheminement”. Ces deux sens ne s’excluent pas l’un l’autre mais coexistent en révélant chacun un aspect se rapportant respectivement au domaine du macrocosme et du méta-cosme. Le caractère “Fǔ” 輔 signifie, méthode ou assistance, il est aussi le nom chinois de l’étoile Alcor. Le caractère “Xíng” 行 renvoie aussi bien au mouvement que l’on retrouve dans la théorie des 5 mouvements 五行, qu’au déplacement extérieur, ou le cheminement intérieur. Le caractère “Jué” 訣 traduit ici tantôt par “procédés subtils” ou par “formule” peut aussi être rattaché au concept de “secret”, notion fort intéressante qui résonne avec l’étoile Alcor, dont le caractère peu visible à l’oeil nu peut être interprété sous ce rapport, comme symbolisant les secrets que renferme le mouvement de “Běi Dǒu” 北斗  et qui se révèlent à ceux qui ont “des yeux pour voir”. 


Nous avions dit plus haut, que la grande ourse reproduit en articulant son mouvement autour de l’étoile polaire, le symbole de la svastika, mais ce qu’il faut encore préciser, c’est que ce faisant, son manche pointe les 4 directions cardinales en coordination et en correspondance avec les 4 saisons telles qu’elles sont exprimées dans la théorie des 5 mouvements. Ainsi, au printemps, le manche du boisseau pointe à l’est, en été il pointe au sud, en automne à l’ouest, et au nord en hiver. C’est alors que la grande ourse s’impose à nous comme une affirmation tangible de cette corrélation ou de cette résonance entre les saisons et les directions cardinales. Elle manifeste donc et synthétise en quelque sorte les éléments de connaissances liés à l’espace et au temps qui fondent la théorie des 5 mouvements. Ce qui se produit au ciel sur le plan spatial trouve de façon remarquable son écho sur terre au niveau temporel, ainsi va la danse cyclique et harmonieuse de l’entrelacement et des échanges du Yin et du Yang.


“[…] Les septs étoiles de Beidou (la grande ourse) sont celles dont il est dit : [Shun observa] le mécanisme de l’évolution et la balance de jade pour vérifier l’accord entre les sept gouvernements.” […] Le boisseau est le char de l’empereur ; il se meut au centre ; il gouverne les quatres points cardinaux ; il sépare le yin et le yang ; il détermine les quatre saisons ; il équilibre les cinq éléments ; il fait évoluer les divisions [du temps] et les degrés [du ciel] ; il fixe les divers comptes. Tout cela se rattache au Boisseau.” Shiji le livre des officiers célestes


La médecine chinoise considère l’homme comme étant lui-même un petit abrégé du monde dans lequel il s’inscrit, c’est pourquoi elle accorde une grande importance aux considérations spatio-temporelles, celles-ci constituant les conditions de notre existence manifestée. L’homme est intégré dans la nature et doit composer avec elle une unité : “l’homme et la nature ne font qu’un” 天人合一,  il est entre ciel et terre, le médiateur le troisième terme de la triade unissant le Yīn et le Yáng. Cela le rend, dans une certaine mesure, indissociable de son environnement. Ainsi, les espaces extérieurs réfèrent pour lui, à des réalités intérieures, aussi bien que la temporalité qui fait advenir les saisons fait vibrer les hommes au diapason d’une même vibration. A ce titre, le Qi du vent tiède printanier faisant croître les premiers bourgeons, est le même qui dans le corps humain ascensionne le sang par le biais du foie. Tout cela procède d’un même mouvement, et concourt au même accomplissement.  


En conséquence, la tâche du médecin peut être envisagée comme une mise en conformité de l’intérieur du patient avec les mouvements naturels extérieurs de son environnement. D’ou l’importance de la théorie des Wǔ Yún Liù Qì. Système cyclique de qualification des unités de temps, il est utilisé entre autres, pour établir des prédictions quant à l’influence qu’exercent sur la santé de l’homme les différentes combinaisons d’énergies à venir au cours d’une année.  Il s’avère en ce sens, être l’outil le plus significatif et qui rend un témoignage des plus pragmatiques de l’importance pour la médecine chinoise de ce lien privilégié qui lie l’homme à son environnement.


Une expression telle que « Kāi Fāng » 开方  qui désigne l’acte de prescription de formule de pharmacopée, est aussi propre à rendre compte de cette interdépendance mais sous son aspect spatial cette fois. Littéralement : “donner une direction”, cette locution nous laisse entendre que la prise d’une formule de plantes induit  l’énergie propre d’une direction cardinale dans la physiologie du patient. On pourra en ce sens se voir prescrire, une  formule “de l’Est”, correspondant par extension au printemps et au mouvement de croissance et d’élévation (les directions cardinales devant être entendues comme des termes génériques référant à tous les champs du réel auxquelles elles font écho, toujours selon la loi de résonance “Gǎnying” 感應).


Ces concepts nous invitent à considérer ce qu’implique véritablement la notion de médecine “holistique”, cette approche globale dont on entend souvent parler de façon trop évasive et qui, en vertu de ce qui vient d’être dit, devrait évoquer bien plus qu’un terme vaguement séduisant. 


“Si l’on souhaite examiner les qi corrects des quatre périodes qui forment les maladies et connaître les méthodes pour [traiter] les épidémies saisonnières (shi xing) et les qi épidémiques (yi qi), il convient de se baser sur l’observation de la grande ourse (dou) et du calendrier (li) pour pronostiquer.” Shānghán Lùn


Plus haut nous soulignions que par effet “miroir”, le centre que représente l’étoile polaire à l’échelle macrocosmique pouvait, selon le point de vue microcosmique, être considéré comme le mouvement terre symbolisant le duo Rate/Estomac. C’est de cette façon que l’on peut considérer la grande ourse comme nous introduisant au modèle de la répartition en croix des 5 mouvements. En effet, les Wǔ Xíng 五行 sont bien souvent figurés selon une répartition en étoile à 5 branches, ce qui a pour avantage de mettre en évidence l’aspect d’engendrement et de contrôle mutuel qu’entretiennent ces mouvements entre eux. 


Cependant, et sans que cela ne doive aboutir pour autant à la négation d’un modèle au profit d’un autre, il semblerait que la répartition en croix intègre une somme de notions plus en phase avec l’essence de cette théorie. En plaçant la terre au centre, cela doit nous indiquer qu’elle est à la fois au cœur de l’espace et du temps. Le fait qu’elle intervienne à chaque intersaison sans être associée à aucune d’entre elles témoigne en effet de son aspect central s’exerçant y compris dans le temporalité. Ainsi positionnée, cela explique aussi pourquoi elle contient et reproduit de façon similaire les mouvements de montée et de descente que l’on retrouve dans le duo Bois/Métal, car en tant que pivot central, la terre mère qui engendre Les 10 000 être “wàn” 卍, doit contenir en son sein  comme à l’état de germe, toutes les potentialités s’exprimant en dehors d’elle-même. Sur le plan horizontal se font face le Bois à l’Est, et le Métal à l’Ouest, comme la croissance du printemps opposée au repli de l’automne, ou le levé qui précède le coucher du soleil. Sur le plan vertical s’accouplent l’Eau et le Feu qui figurent comme l’échange du Ciel et de la Terre rapporté à la physiologie de l’homme. Tout cela n’est en définitif qu’un seul Qi, se mouvant de façon circulaire autour de son centre à l’image de la grande ourse qui ceinture l’étoile polaire. Il émerge à l’Est au printemps, foisonne au Sud en été, se réunit à l’Ouest à l’automne, puis est thésaurisé au Nord en hiver pour émerger à nouveau. 


Il en ressort de tout cela que la vision circulaire, qui est celle qui soit le plus adaptée à l’exercice de la médecine chinoise dite “classique” (qui est en fait “traditionnelle”) trouve également sa résonance dans le mouvement de la grande ourse. 


Cette répartition en croix a donnée lieu dans l’antiquité à une apposition emblématique d’animaux surnaturels nommés “4 esprits” 四神, devant représenter chacun la nature d’un mouvement. On trouve Le dragon vert à l’Est correspondant au Bois, le tigre blanc à l’Ouest qui correspond au Métal, au Nord la tortue noire correspond à l’Eau et le phoénix rouge au Sud correspond au Feu.



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Le centre quant à lui, est symbolisé par « Qílín » 麒麟, la “licorne jaune”, animal mythique qui figure comme un composite des 4 esprits. Munie d’une corne, parfois d’écailles, de poils, ou de sabots selon les représentations. 


L’aspect hybride doit viser essentiellement ici, à exprimer cette nature synthétique du centre qui récapitule en quelque sorte les différents aspects des 4 animaux . 


La corne de “Qílín”, comme une couronne, symbolise quant à elle le pouvoir et souligne le caractère majestueux de cet animal mythologique dont la place privilégiée lui confère sa dimension royale en tant que pôle féminin. Celle-ci se révélant dans toute sa plénitude lorsqu’en tant que polarité passive, la terre vient à exalter la puissance active venue du ciel. 



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Pour dégager de la grande ourse, quelques données supplémentaires nous nous bornerons simplement à signaler que l’étoile « Tiānshū » 天枢 “pivot céleste” qui est l’axe par lequel la grande ourse forme une svastika avec l’étoile polaire, porte le même nom que le point d’acupuncture “25 estomac” qui se situe sur le plan horizontal du nombril corroborant une fois de plus le rapport étroit qui lie le microcosme au macrocosme.


4-Conclusion  


Ce bref exposé, dont nous savons qu’il est bien loin de traiter avec exhaustivité du sujet proposé, vise avant tout à mettre en lumière au travers du symbolisme de “Běi Dǒu”, certains aspects de la médecine chinoise que nous pensons trop importants pour être négligés, et ce parce qu’ils réfèrent à des données constituant les fondements mêmes de cette science médicale. 


Pour cette raison, on aurait donc bien tort de réduire la grande ourse et ce qui s’y rattache à une connaissance secondaire, un savoir désuet qui viendrait s’additionner à une somme d’informations indigestes et sans réelle portée pratique. Ou, autrement dit, comme un énième bagage intellectuel n’ayant d’autres utilité que d’assouvir un désir effréné d’érudition. Nous souhaiterions au contraire que se dégage de cet article, l’émerveillement qui fut le nôtre lorsque nous découvrions en notre temps, les diverses éléments de connaissances cachés au-delà des apparences directes de la grande ourse.


Car ainsi envisagée, on se rend compte qu’elle n’est pas l’objet d’un savoir superflu, mais qu’ elle est en fait au cœur de la théorie fondamentale dont elle unifie et synthétise les données,  se dressant par-dessus tout, comme un élément porteur de sens et de cohérence. 

Considérée de la sorte, elle se dévoile en réalité comme étant la clef de compréhension d’un vaste pan de la médecine chinoise à son plus haut niveau, du fait qu’elle reconduise notre attention à la contemplation de ses principes fondateurs. 


Pour conclure, il faut dire que c’est toujours une source de joie que d’entrevoir l’harmonie déguisée derrière les apparences illusoires d’un monde désenchanté; et bien qu’il soit tragique de constater à quel point notre humanité s’enlise dans un matérialisme de plus en plus asséchant, il sera toujours possible à celui qui élève son regard, d’apercevoir la grande ourse qui malgré tout, continue sa course autour de l’origine unique, indépendamment de l’intérêt que nous lui portons, comme un témoignage perpétuel de l’éternité et de l’esprit qui remplit tout. 


Bibliographie 


  • Huang Yuan Yu traduit par Abel Glaser – Si Sheng Xin Yuan, édition Liang shen

  • Zhang Zhong-jing traduit par Abel Glaser – Shanghan Lun, édition Liang shen

  • Tao Hong-jing traduit par Abel Glaser – Fu Xing Jue, édition Liang Shen

  • René Guénon – le symbolisme de la croix, édition Véga 

  • René Guénon – La grande Triade, édition Gallimard 

  • René Guénon – Symbole de la science sacré, édition Dervy

  • René Guénon – le Roi du monde, édition Dervy

  • Jean marc Bonnet-Bidaud – 4000 ans d’astronomie chinoise, édition Belin

  • Philosophes taoïstes II – Huainan Zi, edition bibliothèque de la pléiade 

  • Léon Wieger – les pères du système taoiste, tao te king, édition les belles lettres

  • Isabelle Robinet – comprendre le Tao, édition gallimard

 
 
 

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